La pesanteur/l'apesanteur, qu'en disent les astronautes ?
Parfois, les sciences, ça semble très compliqué. Les raisonnements sont obscurs, les choses dont on parle sont floues, on dit tout et son contraire. Dans ces situations, le but du jeu est souvent de trouver la bonne approche qui va permettre d'éclaircir, de rendre limpide toutes ces idées. Cela est tout aussi utile pour le néophyte qui découvre le sujet que pour le spécialiste qui va le lui expliquer.
Mais parfois, c'est déjà limpide. Tellement limpide pour beaucoup de monde que ce qui est pris pour acquis est... faux. Et quand on croit que l'on sait déjà, il est difficile de chasser cette erreur car l'idée fausse n'est jamais remise en question.
Nous avons tous déjà vu ce type d'image où un astronaute flotte librement dans une station spatiale. Il n'est pas tout seul d'ailleurs, n'importe quel objet à l'intérieur (ou même à l'extérieur) de la station subit le même effet, jusqu'au burger de Thomas Pesquet, l'astronaute français actuellement dans l'ISS. Et ça semble logique : dans l'espace, nous sommes en état d'apesanteur, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de pesanteur, que la gravité n'a plus cours. On peut exploiter cette situation, c'est l'occasion rêvée de mener des expériences scientifiques là-haut dans l'espace que le champ gravitationnel terrestre ne pourra pas affecter, chose évidemment impossible sur Terre. Simple, non ?
Difficile d'imaginer plus limpide. On flotte car l'attraction gravitationnelle n'existe pas là-haut. Enfin...
Enfin, si je lève la tête vers le ciel, je remarque quand même que la Lune, pourtant bien plus éloignée de la Terre que nos astronautes, n'échappe pas à son influence, elle tourne autour de la Terre ! Cela voudrait dire que l'attraction gravitationnelle est partiale, et décide délibérément de ne pas nous affecter, nous ? Correction : elle nous affecterait tous (puisque nous pesons un certain poids), sauf les astronautes ? Ça devient un peu tordu.
En vérité, nous savons pertinemment que les astronautes et leurs stations spatiales sont attirés par la Terre, puisqu'ils sont en orbite autour d'elle, comme la Lune. Comprenez-vous maintenant pourquoi vous avez peut-être entendu que l'on préférait le terme d'impesanteur à celui d'apesanteur ? Parce que ce dernier suggère qu'il n'y a pas de pesanteur, et nous induit d'emblée en erreur. Chaque mot a son importance.
Dans l'espace, au voisinage de la Terre, les astronautes sont en chute libre. On désigne par ce terme une chute où seule l'attraction gravitationnelle s'exerce. Lancer un frisbee, observer le vol d'un avion ne sont pas des cas de chute libre, car les frottements de l'air sont présents et influencent la trajectoire prise par l'objet. Dans certains cas, ces frottements sont négligeables : lancer une balle en l'air ni trop fort, ni trop haut, pourra s'apparenter à une chute libre. Quant au saut de Félix Baumgartner depuis une altitude de 40 km, il peut être décomposé en une phase de chute libre où l'atmosphère est si raréfiée que les frottements sont très faibles, et une phase de chute avec frottements. Mais la limite entre ces deux phases ne peut pas être bien tranchée car la transition entre les deux n'est pas brusque, tout est affaire ici de définition.
Vous n'êtes peut-être pas convaincus du fait que les astronautes, stations spatiales et autres satellites soient en chute libre, car ils ne s'écrasent pas au sol, alors qu'ils ne se propulsent pas. Cela n'est en fait pas contradictoire.
Faisons une simple expérience du quotidien : prenez un objet dans votre main et imaginez où cet objet va tomber si vous le lâchez. Imaginez une petite cible à cet endroit. Maintenant, quelque chose ou quelqu'un vous maintient le poignet, de sorte que vous ne pouvez pas décaler votre main. Avez-vous un moyen de lâcher l'objet tout en évitant la cible ?
Oui ! Il vous suffit de la propulser sur le côté. L'objet tombera au sol mais pas sur la cible. Et c'est toujours une chute.
Si maintenant, la cible est plus large, il vous faudra un élan de la main plus important. Plus la cible s'élargira, plus cet élan initial sera important. Au bout d'un moment, votre cible sera si grande qu'elle englobera l'intégralité de la surface de la planète. Dans ce cas, l'élan initial sera si important que l'objet loupera constamment la cible et décrira une trajectoire fermée : c'est une orbite ! Et jamais nous ne sommes partis du principe que l'objet lui-même avait un moyen de propulsion.
La propulsion d'une fusée sert ainsi simplement à acquérir l'élan nécessaire. Quant aux petits propulseurs des satellites, ils ne servent qu'à compenser les frottements de l'air. Ces frottements sont minuscules car l'air est extrêmement raréfié, mais ils finissent par freiner les satellites sur une longue période de temps et donc à leur faire perdre leur élan.
Il s'agit donc bel et bien de chutes, dont le point d'impact au sol est constamment manqué. Le mythe de la chute de la pomme de Newton retranscrit exactement cette idée.
La chute libre d'un corps a une caractéristique remarquable : elle n'est pas affectée par la masse. Si vous prenez une bille d'1 gramme (de bois, d'acier, peu importe), une boule d'1 kilogramme, et une sphère d'1 tonne, les trois objets décriront la même trajectoire et la parcourront en un même laps de temps pour des conditions de lancer équivalentes ! Si cela vous choque, c'est probablement que vous vous imaginez l'expérience dans l'air (ce qui nous est familier), ce qui n'est pas une chute libre.
On peut comprendre ce phénomène aisément en fait, c'est la combinaison de deux effets. Si l'on multiplie la masse d'un objet par 10, alors la force de gravitation de la Terre l'attirera 10 fois plus fortement, car la masse est à l'origine même des forces de gravitation. Mais d'autre part, cet objet sera 10 fois plus difficile à mettre en mouvement. Et ces deux effets se compensent exactement, à moins qu'une autre force indépendante de la masse ne soit présente, comme lorsqu'il y a frottement. Mathématiquement, on le montre ainsi :
On voit que l'accélération de l'objet ne dépend plus de sa masse, d'où découle tout ce que nous avons décrit plus haut. C'est ce fait qui est au cœur du phénomène.
Voici une autre image où l'on voit un astronaute qui flotte à côté de la station. Comment cela est possible alors que la Terre les attire ? Parce que plusieurs conditions sont réunies :
- L'astronaute et la station sont en chute libre.
- Le point de vue adopté est celui de l'un des deux.
La chute libre assure que les trajectoires des corps (avec la même vitesse initiale, le même élan) seront identiques, qu'il s'agisse de corps massifs comme la station, ou moins comme l'astronaute, comme on vient de le voir. Résultat, si l'on prend l'un pour référence, l'autre apparaît comme immobile. Dans l'espace, c'est facile. On peut même montrer que le fait de se placer dans le référentiel de la station donne l'illusion que la force gravitationnelle créée par la Terre ne s'exerce plus sur les objets.
Sur Terre, l'omniprésence des frottements rend cela quasi-impossible. C'est néanmoins ce que vous pouvez ressentir brièvement en voiture ou dans une fête foraine lorsque vous finissez de gravir une côte suffisamment rapidement. Cette sensation que vos entrailles « flottent » ? C'est littéralement ce qui se passe : du point de vue de votre corps, vos organes ne pèsent plus, car l'ensemble est en chute libre l'espace d'un instant. Comme c'est le signe d'une chute, on comprend alors le trouble et la montée d'adrénaline que cela engendre, vous êtes probablement en danger !
L'affaire est donc résolue...
En réalité, le point 1 ne suffit pas tout-à-fait, mais à cette altitude, on peut toujours considérer le champ gravitationnel comme étant homogène. Je n'irai donc pas plus loin dans le cadre de cet article.
J'espère que cet article vous aura permis de mieux comprendre la notion d'impesanteur, n'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez en commentaires !